15 novembre 2022

Billet du 15 novembre 2022

Dominique Benzaken, membre du Comité d’orientation de la mission océan Indien, fait le point sur l’économie bleue liée à la zone de gestion conjointe du banc de Saya de Malha. Peu de pays ont jusqu’à présent développé une stratégie nationale d’économie bleue, les Seychelles et l’île Maurice en font partie. Ce type de stratégie combine objectifs économiques, sociaux et environnementaux, conformément aux principes du développement durable, et doit normalement englober tous les secteurs maritimes.

L’économie bleue en tant que concept a émergé de la Conférence internationale sur le développement durable qui s’est tenue à Rio De Janeiro en 2012. La proposition est venue des Petits États Insulaires en Développement (PEID) qui ont fait valoir que pour eux l’économie verte était bleue en raison de leurs grands domaines océaniques et de leurs économies dépendantes des océans. Ils ont également plaidé avec succès en faveur d’un objectif de développement durable (ODD 14 – La vie sous l’eau) visant à conserver et à utiliser de manière durable les océans, les mers et les ressources marines pour le développement durable, qui comprend une cible visant à « augmenter d’ici 2030 les avantages économiques pour les PEID … du développement durable des ressources marines ». En 2015, les Nations unies ont adopté le programme 2030 pour le développement durable et 17 ODD, établissant ainsi un cadre politique pour l’économie bleue

Depuis, de nombreux débats ont eu lieu dans les discours internationaux sur ce que signifie réellement l’économie bleue dans la pratique et sur la manière de la mettre en œuvre. Bien qu’elle suscite beaucoup d’intérêt, très peu de pays ont jusqu’à présent développé une stratégie nationale d’économie bleue, les Seychelles et l’île Maurice étant deux d’entre eux. Si elle est comprise comme le développement durable de l’océan, elle devrait inclure une combinaison d’objectifs économiques, sociaux et environnementaux, conformément aux principes du développement durable, et concerner tous les secteurs maritimes. Il est important de noter qu’il n’y a pas de recette unique et que l’on peut s’attendre à ce que la stratégie d’économie bleue de chaque pays ou région reflète ses circonstances socio-économiques et environnementales spécifiques ainsi que les institutions en place pour la mise en œuvre.

Si l’économie bleue est un concept puissant, elle peut avoir des significations différentes selon les utilisateurs des océans. S’agit-il de la nouvelle frontière de la croissance économique ou de l’Eldorado de la conservation des océans ? Comment assurer le partage équitable des avantages tirés des ressources océaniques entre les pays et au sein des pays ? En fait, il s’agit de tout cela et le plus délicat est de savoir comment le faire fonctionner. C’est là qu’entre en jeu la gouvernance, qui consiste à savoir qui décide de quoi, comment et pourquoi. Quelles institutions et quels processus décisionnels doivent être mis en place pour élaborer et mettre en œuvre une vision commune, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

Les Seychelles et Maurice sont des pionniers de l’économie bleue et leur vision respective de l’économie bleue se retrouve dans la gestion de l’AGC. L’objectif et la structure de prise de décision commune de l’AGC sont prescrits dans le Traité concernant la gestion conjointe du plateau continental dans la région des Mascareignes (le Traité), qui prévoit le partage des avantages découlant de l’exploitation, principalement l’exploitation pétrolière et la bioprospection future, ainsi que la responsabilité de la protection des habitats et de la biodiversité des fonds marins, y compris de la pollution et autres impacts des activités au-dessus des fonds marins, comme la pêche.

L’AGC est unique en ce sens que les Seychelles et l’île Maurice ont une juridiction conjointe sur le plateau continental, mais pas sur la colonne d’eau située au-dessus, qui est considérée comme de la haute mer en vertu de l’UNCLOS et donc gérée par d’autres organismes régionaux, auxquels les deux pays appartiennent. Cet arrangement rend la gestion de l’AGC plus facile en ce qui concerne les fonds marins et plus difficile parce que les fonds marins et la colonne d’eau sont écologiquement liés mais pas sur le plan de la juridiction.

L’AGC est en premier lieu un cas test à bien des égards, où les juridictions se chevauchent au même endroit, et aussi parceque deux nations souveraines doivent gérer une zone commune de plateau continental et ses ressources de fonds marins en collaboration. Bien que le Traité apporte de la clarté d’un point de vue juridique, dans la pratique, il est très difficile de parvenir à un consensus sur la manière d’équilibrer les objectifs économiques et environnementaux, en partie en raison des enjeux économiques potentiellement élevés en jeu. Jusqu’à présent, aucun de ces objectifs n’a été testé car aucune exploitation n’a eu lieu, et aucune proposition de protection des fonds marins n’a été discutée.

Trois défis et opportunités à considérer

 

Un défi existentiel imminent découle de l’accent mis par l’AGC sur l’exploitation pétrolière dans le contexte du changement climatique, à savoir comment concilier les engagements climatiques en matière de réduction des émissions avec l’exploitation pétrolière. S’entendre sur des questions aussi fondamentales exigera de la discipline et un leadership politique de la part des deux pays, ainsi qu’un soutien international pour développer des options alternatives afin de traiter cette question d’une manière qui ne les pénalise pas économiquement. L’engagement des communautés nationales respectives dans ces décisions importantes doit encore être envisagé.

La gestion des impacts des activités dans la colonne d’eau sur les fonds marins de l’AGC est tout aussi difficile. Il faudra faire preuve d’une diplomatie créative commune et d’un soutien international dans les forums régionaux pour promouvoir l’élaboration de mesures qui permettront de faire face aux impacts potentiels sur les fonds marins de l’AGC. Ce sera un test de la détermination, de la collaboration et des compétences diplomatiques des deux pays.

L’AGC est une région éloignée et relativement peu documentée. L’accès aux informations et aux données venant de la recherche internationale est un problème de longue date, qui nécessite des changements à la fois dans la production et l’accessibilité des connaissances et dans le développement de systèmes d’information efficaces dedie a l’AGC. Un institut de recherche pour l’AGC (peut-être virtuel) faciliterait la définition d’un programme de recherche commun et la coproduction de nouvelles connaissances en fonction des besoins de l’AGC et attirerait des financements.

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Dominique Benzaken

Dominique Benzaken est une consultante indépendante, conseillère politique spécialisée dans la gouvernance des océans, l’économie bleue et la finance bleue. Elle est membre du Comité d’orientation de la mission océan Indien 2022 des Explorations de Monaco. 

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